Aménagement urbain -
A l'issue du confinement, les villes ont su remanier en toute hâte leur voirie pour faciliter les mobilités douces et surtout la pratique du vélo. Mais il devient impératif de repenser aussi la place de la marche à pied.
Elles ont sorti les pots de peinture et les barrières. Après le confinement, les municipalités ont en urgence conformé l'espace urbain aux nécessités de la distanciation physique en multipliant les marquages au sol ou en octroyant davantage de place aux terrasses des cafés. Alors que les transports publics n'avaient pas repris à plein régime, ces collectivités ont tenté d'éviter un report massif sur la voiture en créant de nouveaux circuits de mobilité douce, en particulier cyclables. Ont surgi des itinéraires temporaires, rebaptisés « coronapistes » : la métropole de Nantes a annoncé en créer 21 km ; la Ville de Paris, 50 km. L'offre s'est donc améliorée en longueur comme en largeur : la transformation en voie cyclable géante de la rue de Rivoli, à Paris, a été un des symboles du déconfinement.
La capacité d'adaptation rapide de l'espace public a été mise à l'épreuve et se pose désormais la question de l'inscription de ces dispositions dans la durée. Alors que le déploiement de systèmes défensifs, après la vague d'attentats de 2015 et 2016, a fortement marqué les villes, la crise du Covid-19 déclenchera-t-elle, à son tour, l'élaboration de nouvelles règles ?
Ces derniers mois, l'A'urba, l'agence d'urbanisme de Bordeaux-Aquitaine, a publié des préconisations destinées à traiter les zones de surdensité piétonnes « pour répondre à l'urgence » mais aussi « faire sens à long terme ». De leurs côtés, certains concepteurs ont pu se demander s'ils ne devraient pas revoir les projets en cours à l'aune du « 1 m de distance ». Et l'architecte, paysagiste et urbaniste Clément Willemin a, lui, dessiné un système d'assise aux accoudoirs épais qui, une fois assemblées, assurent un écart conséquent entre les utilisateurs. « C'est un paysage imaginaire que la période m'a inspiré. Il n'a pas nécessairement à être réalisé », relativise-t-il. Il estime toutefois que dans un pays « où on a tendance à se coller les uns aux autres, la distanciation peut s'installer ».
Ne pas réagir à chaud. Le paysagiste Michel Hössler, de l'agence TER, affirme au contraire que « l'espace public est celui de la rencontre. Au moment du déconfinement, les gens ont eu besoin de se voir, de se toucher. Et il faut éviter de chercher une réponse à chaque nouveau risque. Ne réagissons pas à chaud ».
Nombreux sont les professionnels à vouloir prendre ce recul par rapport à l'actualité. D'autant que, rappelle le chercheur Jean-Baptiste Marie, professeur à l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Clermont-Ferrand, « si nous envisageons une période plus large, nous observons une succession toujours plus rapide de crises - économique, climatique, sociale et maintenant sanitaire. Force est de constater que cela devient la norme et qu'il faut penser un urbanisme résilient. » L'architecte et urbaniste Pierre-Alain Trévelo, de l'agence TVK, partage ce point de vue : « Le propre de l'espace public est de pouvoir tout absorber, y compris l'imprévu. » Si le Covid-19 n'est pas le point de départ de nouvelles obligations, il peut agir comme l'accélérateur de pratiques émergentes, à commencer par celle de l'urbanisme « tactique ». Certaines villes, en procédant à leurs aménagements légers, se sont réclamées de cette forme d'intervention à durée déterminée, engagée le plus souvent par des citoyens pour révéler les potentiels d'un lieu avant d'aboutir, parfois, à des projets durables. « Dans un pays ou l'espace public est sacralisé, voire figé, de telles parenthèses permettent de vérifier des hypothèses. Elles ne sont cependant pas à opposer à l'urbanisme du temps long », notent Lucille Gréco et Vincent Josso, de la coopérative de stratégie urbaine Le Sens de la ville. La méthode participe en tout cas d'une souplesse que beaucoup réclament.
Déspécialiser les espaces. Pour donner de l'agilité à l'urbain, Pierre-Alain Trévelo mise sur « la déspécialisation des espaces. Le sol de la ville est vaste mais très segmenté. Il faut le partager, non plus au sens de ''chacun son espace'' mais de la cohabitation de tous les usages. » L'espace public cloisonné essentiellement au profit de la circulation automobile apprend donc déjà à accorder davantage de place aux cyclistes. Il y a fort à parier que parmi les « coronapistes » supposées temporaires, beaucoup demeureront, d'autant qu'elles étaient parfois déjà dans les cartons des politiques. Mais une pratique reste largement impensée, alors qu'elle reste à la base de tous les déplacements : la marche. Par soustraction de la place accordée à la voiture, et désormais aux voies cyclables, le piéton doit se contenter de ce qui reste et ce, dans un inconfort certain. Même les aménagements post-confinement qui devaient lui bénéficier ont relevé du bricolage : stationnements neutralisés, souvent de manière discontinue, afin que les passants puissent se croiser… mais en descendant du trottoir.
Membre du groupe de travail sur l'espace urbain Design for CollectiVe, le journaliste Lionel Blaisse voit pourtant dans ce stationnement de surface une belle réserve : « Puisque dans une ville comme Paris, la circulation automobile décroît, on devrait redistribuer ces espaces au profit des piétons. » La place de parking deviendrait terrasse, petit jardin ou zone de stockage pour ce qui encombre les trottoirs, comme les containers d'ordures ménagères.
Fluidifier les parcours. Urbaniste à l'Institut Paris Région, Paul Lecroart plaide aussi pour la fluidification des parcours de marche en repensant, par exemple, le réglage des feux de signalisation. Il estime aussi que « l'espace peut être davantage mutualisé » et cite le cas d'une école allemande « où la cour de récréation s'établit sur une rue piétonne ». Cette priorité aux piétons, à laquelle s'ajouterait le développement annoncé du télétravail, ouvrirait la voie à un urbanisme fondé non plus sur l'optimisation permanente des systèmes de transports mais sur la courte distance.
Pour l'architecte et urbaniste Jacques Ferrier, la proximité peut être organisée « par la création de micro-urbanismes où tout - services, ressources, sport, paysages - serait disponible ». Ce plaidoyer pour l'échelle du quartier évoque la « ville du quart d'heure », théorisée par le chercheur Carlos Moreno. Un sujet dont Carine Rolland, adjointe à la maire de Paris, est désormais en charge.
« La marche pourrait être la grande perdante de l'après-crise »
Deux mois après le déconfinement, quel bilan pouvons-nous tirer des aménagements menés en urgence par les collectivités ?
Dans les métropoles, les actions engagées sur les parcours cyclables, d'une part, et piétons, d'autre part, ont inégalement abouti. Ainsi, il a été plutôt facile d'établir des bandes cyclables supplémentaires. En effet, des villes comme Bordeaux, Paris ou Nice, sont dotées de plans vélo et savaient donc où les implanter rapidement et à moindre coût. En revanche, personne n'avait imaginé qu'il faudrait un jour installer dans l'espace public des distances sanitaires entre les gens ou des files d'attente devant les magasins.
Procéder à de tels aménagements s'est avéré plus difficile. Les trottoirs ne pouvaient pas être élargis, sauf à condamner des places de parking. Parfois des décisions plus globales ont été prises comme ici, à Toulouse, où tout le secteur circonscrit par les grands boulevards, ce centre-ville que nous appelons l'Octogone, est passé en zone 20 km/h, devenant ainsi une zone de rencontre. Dans ce cas, les piétons deviennent prioritaires et sont autorisés à marcher sur la voirie [il s'agit d'une extension de la zone de rencontre à tout l'hyper-centre, soit environ 315 hectares, NDLR].
Comment ces dispositions temporaires peuvent-elles évoluer ?
Même si des « coronapistes » ont parfois été effacées, généralement sous la pression de commerçants ou d'automobilistes, la crise sanitaire aura joué pour les villes un rôle d'accélérateur et les aménagements cyclables devraient s'amplifier.
En revanche, la marche pourrait être la grande perdante de l'après-crise. La neutralisation de places de parking ne devrait rester que provisoire, d'autant qu'elle n'est ni très sécurisante ni adaptée aux personnes à mobilité réduite. Dans le cas de la zone de rencontre de Toulouse, elle a été essentiellement matérialisée par des panneaux de signalisation, alors que le Code de la route impose des aménagements dans de tels secteurs. On a donc observé que la zone n'était pas respectée par les voitures et que les piétons ne se risquaient pas à emprunter la chaussée.
Aura-t-on davantage recours à l'urbanisme dit « tactique » ?
Avec le Covid-19, cette forme d'action, qui est normalement à l'initiative des habitants, s'est institutionnalisée.
Mais quand c'est une collectivité qui utilise la notion de « tactique » pour procéder à des aménagements provisoires ou préfigurant un état définitif, elle sort du cadre des procédures, notamment en matière concertation. Il me semble qu'une part du débat est là confisquée. Cette méthode devra donc trouver sa juste place pour coexister avec l'urbanisme réglementaire.
July 17, 2020 at 05:07AM
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L'espace public entre en résilience - Moniteur
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